-VIII-

Marie, de son côté, éprouvait un grand remords de s'être abandonnée à sa mauvaise humeur. Elle avait été méchante, se disait-elle avec les mots sont elle s'accusait petite fille après un caprice. La vie de Gérard n'était pas gaie en ce moment, et s'il prenait   plaisir à sortir avec la garde, c'était mal de le lui reprocher. Comme au lieu de se fâcher – et c'est tout ce qu'elle eût mérité – il avait été bon, patient. Marie sentait encore la caresse contre quoi elle s'était raidie. Qu'elle avait été mauvaise de proposer que Gérard prêtât à Mademoiselle Perceron « Fondements d'une culture chrétienne ». Le livre était dans la table de chevet de Gérard. Pour se punir elle le lirait. Quand Gérard la verrait avec cet essai dans les mains, il comprendrait son repentir et sûrement lui pardonnerait.

Marie parvint à saisir le livre. Elle l'ouvrit. Rapidement le style pur et fervent de Davenson la séduit. Elle comprenait pourquoi Gérard aimait tant cet ouvrage. Il devait retrouver dans ces pages l'élan chrétien de son adolescence inquiète et pure. Ce livre la plongeait dans un grand bain de jeunesse. C'était comme une promenade en bande avec des jeunes gens, un jour de printemps, quand on croit transformer le monde et qu'on part pour la vie, joyeux, avec pour tout bagage les fleurs arrachées aux haies. « Laetere, ergo, adulescens », se disait Marie. Il lui semblait que la joie de ce livre rénovât son âme.

Gérard remonta sitôt le dîner. Il venait de recevoir une dépêche de sa mère, annonçant qu'elle arriverait dans quelques jours. Gérard en éprouvait un grand bonheur. Dans sa tristesse, d'instinct il s'était reporté vers sa mère. Et voici qu'elle annonçait sa venue. C'était pour lui l'assurance d'une tendresse, un baume sur sa plaie. « Tu sais, ma chérie, Maman va venir faire connaissance de son petit-fils. Tu ne peux savoir comme je suis fier de le lui montrer ». Marie le sentait déjà tout occupé de projets pour les quelques jours où Madame Seymour resterait auprès d'eux. En vain tenait-elle ostensiblement « Fondements d'une culture chrétienne ». Dans son exaltation joyeuse, Gérard ne voyait pas le livre. Il était assis au pied du lit, exposant à Marie ses projets. Il ne voyait pas que s'assombrissait le visage de la jeune femme. « Je mènerai maman voir les nouveaux layons que j'ai fait percer, expliquait-il. Je suis sûr qu'elle m'en félicitera. Je ne sais pas ce que valent ces layons pour la chasse, mais on y a une belle vue maintenant qu'on traverse le taillis du Pont-des-Dames. Maman ne connaît pas non plus Saint-Mayol. Elle doit être curieuse de voir les fresques que j'ai découvertes et les restaurations ».

Tandis qu'il parlait, Marie avait caché le livre de Davenson.